Lorsqu’il s’agit de faire passer des réformes impopulaires, les autorités n’hésitent pas à mentir à la population pour faire avaler la pilule. Retour sur quelques votations marquantes de ces dix dernières années.
Les citoyens et citoyennes suisses sont appelés à se prononcer régulièrement sur de nombreux sujets. À chaque fois, les différents acteurs de la société débattent et offrent ainsi les arguments qui permettent à chaque personne de se positionner. Du moins en théorie, car souvent le manque de temps rend pratiquement impossible d’étudier le sujet dans les détails. Et la décision est prise en voyant des affiches ou sur quelques déclarations dans les médias. Mais est-ce que les autorités sont fiables pendant les votations ? Quelques exemples permettent d’en douter fortement.
Justice à deux vitesses
En 2008, le peuple accepte de justesse (50,5%) la deuxième réforme de l’imposition des entreprises (RIE 2). Elle propose de nombreux cadeaux aux grandes entreprises, notamment la défiscalisation des dividendes. Le Conseil fédéral, par la voix de Hans-Rudolf Merz (PLR), n’annonce alors que 80 millions de pertes fiscales (1). 10 ans plus tard, le bilan est tout autre. Ce sont près de 7 milliards de pertes selon le Conseil fédéral, sans compter les pertes chaque année pour l’AVS (2). À la suite de la votation, en raison du score serré, le Tribunal fédéral reconnaît que les informations fournies aux électeurs étaient incorrectes, mais ne demande pas de nouvelle votation, considérant qu’Hans-Rudolf Merz a agi «de bonne foi ». Cette décision montre une justice à deux vitesses où une erreur de quelques francs est bien plus durement sanctionnée quand elle est commise par un travailleur ou un demandeur de l’aide sociale.
Loi sur le travail en trompe-l’œil
Les Suisses sont appelés à se prononcer sur une révision de la loi sur le travail en 2013. Cette dernière permet aux stations-service de vendre l’ensemble de leur assortiment toute la nuit, alors que jusque-là seule la nourriture à emporter est autorisée. Les autorités disent clairement que ce changement ne va pas créer plus de travail de nuit. Christian Lüscher (PLR), à l’origine de la modification, s’y engage. Le peuple accepte la proposition, et quelques mois plus tard, le syndicat Syna dénonce l’explosion du nombre de shops ouvrant 24h/24 (3). Alors que le Conseil fédéral parle de 24 stations-service, ce sont au final une cinquantaine qui obtiennent les autorisations d’ouverture, détruisant ainsi toujours plus la vie sociale des travailleurs. Et M. Lüscher n’a jamais rien proposé pour rectifier la loi. Les élus peuvent s’engager comme ils le veulent, rien ne les oblige à tenir parole.
Assurance maladie, le temps de la combine
Face aux augmentations des primes d’assurance maladie chaque année, les électeurs suisses se prononcent sur une caisse maladie publique et sociale en 2007. Ils la rejettent à plus de 71% suite à une des campagnes les plus malhonnêtes qu’ait connu la Suisse. Pascal Couchepin (PLR), conseiller fédéral du département fédéral de l’intérieur, promet que les primes d’assurance maladie n’augmenteront pas de plus de 2% pour les deux prochaines années (4). La promesse est tenue, mais à quel prix ? En 2010, le verdict tombe, les primes d’assurance maladie augmentent de 8,6% au niveau fédéral avec de grandes disparités selon les cantons. Les années 2008 et 2009 les caisses ont puisé dans leurs réserves afin d’obtenir artificiellement une hausse plus modérée (5) et le rattrapage se fait les années suivantes. Cette combine sert à faire croire à une stabilisation des primes et que les problèmes rencontrés ne sont pas liés à la gestion de notre système de santé par le privé.
Au pays du grand mensonge sur l’AVS
L’un des sujets qui reviennent régulièrement en votation, c’est l’AVS. Cela fait longtemps que le Conseil fédéral veut une réforme qui diminue les rentes et fasse travailler les gens plus longtemps. Mais de manière générale, les travailleurs s’y opposent. Pour mettre la pression, le Conseil fédéral noircit la situation des retraites en décrivant le système proche de la faillite afin de faire accepter ses réformes. C’est notamment le cas pour la 11e révision de l’AVS rejetée en 2004 par le peuple. À cette époque, le Conseil fédéral annonce qu’en 2010, l’AVS entrera dans les chiffres rouges. Un grand mensonge, car cette année-là, l’assurance sociale affiche même un excédent de 44 milliards, soit une erreur de plusieurs dizaines de milliards6. Cela montre que le gouvernement suisse a sa feuille de route, celle des grandes entreprises et que son but n’est pas d’appliquer ce que veut le peuple, mais de le forcer à l’accepter.
L’impasse de la RFFA
Les mensonges de la part des politiciens traditionnels ne sont pas que des vieilles stratégies, puisque la droite et le PS y auront recours afin de forcer l’acceptation de la réforme fiscale et du financement de l’AVS (RFFA) en 2019. En effet, ils disent clairement sur leur site internet que ce projet de loi va « apporter une solution à ces deux dossiers importants (l’AVS et la fiscalité des entreprises) » (7). Mais pourtant, moins d’un an après, le Conseil fédéral propose une nouvelle réforme des retraites avec notamment une augmentation de l’âge de la retraite des femmes et de la TVA. Cela montre que la RFFA n’est pas une solution pour garantir les rentes AVS sur le long terme. Même si le Conseil fédéral dit que cette dernière ne suffit pas à régler le problème de l’AVS, il sous-entend que cela empêchera une augmentation de l’âge de la retraite des femmes. Une nouvelle fois, les citoyens votent sur des mensonges. Ce n’est pourtant pas une fatalité. Les jeunes de la grève du climat l’ont notamment compris. Ils ne souhaitent pas rester enfermés dans la politique institutionnelle, mais veulent reprendre les moyens de pressions qui ont fait la force de la classe ouvrière : les grèves et les manifestations. Comme Economiesuisse a ses entrées au Conseil fédéral, nous devons nous faire entendre par tous les moyens possibles, notamment par la rue.
Jordan Willemin
1 https://ssp-vpod.ch/campagnes/ campagnes-terminees/non-a-la-rie-iii/il-etaitune-fois-la-rie-ii/
4 https://www.letemps.ch/primes-maladiesortie-route
5 https://soziale-sicherheitchss.ch/fr/artikel/retour-statistique-sur-les20-ans-de-la-lamal/
6 https://ssp-vpod.ch/site/assets/files/0/08/ 124/ssp_13_web.pdf